Présentation, par Eric Sandlarz

Ce n’est pas le besoin de DIRE qui habite l’œuvre de Jean-Luc Bouton, mais l’impérieuse nécessité de FAIRE, d’inscrire non pas une signification sinon une sensation, une image éprouvée au tréfonds de son être.

Une image qui n’est pas seulement réfléchie, mais qui doit le surprendre, l’étonner quand après de longues semaines, voire de longs mois d’affrontements suivis d’abandons, tout d’un coup l’accident advient. Alors s’opère une métamorphose qui va lui permettre de se séparer encore une fois de la blessure, du violent exil intérieur et de se retrouver plein d'un épuisement joyeux face à cette part secrète de lui-même déposée dans le tableau. La réitération de certains thèmes, abandonnés après qu’ils ont formé une "série", indique combien l’“accident” est issu d’un subtil mélange de hasard et de méthode.

La toile, entièrement occupée par la peinture, s’approprie l'espace, produisant de nouvelles coordonnées où une certaine infirmité de l’être va pouvoir se situer.

Pétrisseur de la matière, des couleurs, Jean-Luc Bouton en nourrit la toile ; charnelle, boueuse, elle vibre, palpite, le long de ses sillons, saignées. Ecorce, abysse, peau, un jour je l’ai vu tomber en arrêt devant un champ labouré surplombant le paysage alentour, transfiguré par la charrue, le soc comme un pinceau, une brosse y avait introduit des creux et des bosses, tout un relief d’ombres et de lumières, la terre éventrée pulsait, tout autant mer dont les vagues et les courants transportaient les flux et reflux de la vie. Aussi, il serait erroné de penser que ses yeux priment dans cette création, ses mains, ses épaules fusionnent avec la toile, sa tête est peut-être derrière celle-ci : ses pieds, tout son corps debout maintiennent une tension, formant un arc-boutant ; peintre-centaure, je ne peux l’imaginer peignant assis.

Du noir au blanc, par Claude Raimbourg

Si la gravure est par excellence le rapport du noir et du blanc, le lavis se rapproche de cette ambiguïté, noir ou blanc dans une recherche subtile où, pour que l’œuvre soit achevée, il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Il en va comme pour le concerto, l’instrument s'oppose à l’orchestre, se perd dans l’orchestre, émerge et l’un et l’autre se rallient dans ce qui doit être la plus parfaite synthèse. Jean-Luc Bouton a choisi le corps (le met-il en péril ou lui redonne-t-il sa victoire sur le regard ?). Dans un subtil accrochage où, çà et là, un bistre atténué va rehausser imperceptiblement un membre qui s’offre ou se retient, Jean-Luc Bouton présente un ensemble qui, peu à peu, mais avec tant de finesse, laisse un figuratif de bon aloi se transformer en masses et courbes qui exigent de l’œil la reconstruction. Ce lieu d’exposition du Centre Edmond-Rostand, géré de si belle façon par madame Anne-Marie Blondiot, depuis longtemps l’amie fidèle de notre groupe, devient un haut lieu de l’expression. Les coulées d’encre (qui étonnent maints visiteurs) raccrochent ces corps, issus de l’archaïsme de notre inconscient qu’un rideau d’académisme occulte trop souvent, aux cadres qui les protègent de l’exposition. On n’est pas loin de demander à Jean-Luc Bouton de travailler dans des formats qui furent ceux de Bram Van Veld. Au-delà de la lutte entre les antagonismes que connaissent bien les graveurs – noir et/ou blanc – il semble qu’il y a combat entre l’artiste et l’encre. Celle-ci prend sa revanche et parfois s'échappe. Peut-être sont-ils en péril ces corps parce qu’ils saignent de toute leur encre à force d’être cernés et repris pour se fondre dans un très cohérent sérail où la multitude rend aux corps leur unicité, leur identité. Bien sûr, un graveur ne peut qu’attendre Jean-Luc Bouton, pointe en main, devant cuivre ou zinc, sarcophage de ses fantasmes.